Le Chemin de Stevenson, également connu sous le nom de GR70, est un sentier de randonnée pédestre qui suit les pas de l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson à travers les Cévennes, en France.
Ce chemin de grande randonnée s’étend sur environ 220 kilomètres, partant du Puy-en-Velay en Haute-Loire et se terminant à Alès dans le Gard.
Il traverse des paysages variés, allant des vallées verdoyantes aux crêtes rocheuses, en passant par des villages pittoresques et des forêts denses.
Le Chemin de Stevenson offre aux randonneurs une expérience immersive dans la nature, ainsi qu’un voyage à travers l’histoire et la littérature, en suivant les traces de l’auteur de « Voyage avec un âne dans les Cévennes ».
Aujourd’hui, dans cet article, nous allons interviewer Ludovic, qui a réalisé cette micro-aventure, et qui nous propose son retour d’expérience (retex) !
Présentation de l’interviewé !
Je m’appelle Ludovic Rocca, je suis né en 1975 dans le Vaucluse où j’ai grandi.
Après mes études de science à Montpellier, j’ai travaillé 7 ans à Paris, puis 8 ans dans les Pyrénées Orientales et enfin cela fait 10 ans que j’habite avec ma petite famille en Haute Savoie.
Je suis ingénieur du son de formation, j’ai travaillé comme mixeur dans le doublage, puis dans l’édition jeunesse. Aujourd’hui j’ai mon agence de création graphique en indépendant, ce qui me permet de travailler depuis n’importe où, du moment que j’ai une connexion internet.
J’ai toujours été proche de la nature et amateur d’activités diverses comme la rando, le trail, le VTT. Je vis près d’un espace naturel qui me permet de m’échapper rapidement dans le sauvage pour des virées sportives et autres crapahutages.
Je remercie Sven et NoPanic de m’offrir la possibilité de partager ici une expérience d’aventure qui je l’espère inspirera les lecteurs.
L’interview…
Bonjour Ludovic ! Je suis vraiment heureux que tu veuilles bien partager avec nous ton aventure sur le Chemin Stevenson.
Peux-tu nous donner un aperçu de ce qui t’a poussé à entreprendre ce périple en bivouac avec un hamac en 2002 ?
Merci à toi Sven.
Donc oui, on est en 2002 et à l’époque je travaillais à Paris, avec une routine métro boulot dodo. Et comme pour beaucoup de personnes le ressentent, bien que ce mode de vie offre un certain confort, il nous éloigne des choses naturelles et simples.
Comme j’ai grandi en province, j’avais l’habitude de partir avec mon vélo dans la campagne, d’avoir un horizon ouvert et un espace de vie élargi. En ville, je ressentais l’effervescence de la ruche et son côté enfermant. Non pas que je détestais le mode de vie urbain, mais au fond, je voulais retrouver une liberté de partir librement, c’était comme un appel. En ville, on est dans des files d’attente, on se serre dans le métro, on subit l’agressivité des autres, on est toujours pressé, c’est aliénant.
J’avais besoin de sortir de la foule pour partir sans contraintes, léger et libre.
Un jour, comme je l’explique dans mon livre, je suis tombé sur un roman qui était posé sur une étagère chez moi. Je l’avais presque oublié : Voyage avec un âne dans les Cévennes, de R. L. Stevenson. J’avais lu ce livre quelques années auparavant, et je crois que le fait de le redécouvrir a été un déclic pour moi.
J’ai eu instantanément envie de partir faire ce même périple, à l’aventure.
Ce chemin est aujourd’hui connu, c’est le GR70 et beaucoup de marcheurs le font. Mais en 2002, c’était assez confidentiel comme parcours, l’outdoor était moins développé qu’aujourd’hui.
Donc je me suis lancé un peu en mode vagabond.
Tu étais alors inexpérimenté mais attiré par l’idée de marcher librement sans contraintes.
Quels enseignements as-tu tirés de cette aventure sur le plan personnel, et comment cela a-t-il influencé ta vie depuis (et encore aujourd’hui) ?
Oui, c’était la première fois que je partais seul avec un sac à dos pour plusieurs jours.
J’avais quand même fait pas mal de rando en montagne, mais jamais en solo et en bivouac. Effectivement, sur ce point j’étais assez inexpérimenté, et surtout peu soucieux des préparatifs.
En fait, je crois que justement, je ne voulais pas avoir le sentiment de tout planifier. Il fallait que je parte avec spontanéité, c’était ce besoin que j’éprouvais. L’aventure il faut que ce soit sur un coup de tête, ou un coup de pied aux fesses que l’on se donne.
Si c’est trop préparé, ce n’est plus une aventure, enfin je crois.
En conséquence, j’ai eu quelques désagréments à cause de cette improvisation : un sac à dos trop lourd, des chaussures neuves qui me feront des ampoules, un bidon de 1 litre, insuffisant sur certains passages désertiques, un gros coup de soleil au visage alors que je n’avais pas pris de chapeau, ni de crème solaire…
Bref, un vrai touriste.
Ces erreurs, on les fait une seule fois car la leçon est rude. Mais c’est de l’expérience de terrain et c’est très satisfaisant de se confronter de cette manière, il n’y a que ça de vrai !
C’est dans mon caractère de tester par moi-même les choses, sans trop écouter les conseils. J’ai besoin de m’approprier les choses pour les comprendre. Alors oui on fait des erreurs, mais je crois qu’on apprend plus vite ainsi. C’est une forme d’autonomie que de savoir se débrouiller tout seul, en s’améliorant par tâtonnements.
Cette aventure qui a duré dix jours, elle reste assez modeste et peu exotique : 250km parcourus en France, au mois de juillet.
Ce n’est ni extrême, ni un exploit sportif. Pourtant ce périple m’a énormément enrichi.
Ce que j’en ai gardé comme enseignement, c’est que l’aventure commence dès lors que l’on sort de sa zone de confort.
Peu importe si c’est à l’autre bout du globe, au sommet de l’Himalaya, ou au bout de sa rue. Le fait de parcourir les paysages à pied nous fait envisager les choses différemment. Devoir se soucier de l’endroit où on va bivouaquer, du prochain point d’eau, apprendre à gérer la douleur, ça remet les pendules à l’heure.
Intéressant ! Peux-tu lister le matériel que tu avais pris et, avec le recul, le commenter ?
En fait, je n’étais pas si léger que ça. Je ne n’avais pas pensé à optimiser mon matériel au niveau du poids. J’avais un sac à dos assez gros, je ne me souviens plus de la capacité, mais il faisait 18kg au départ. Beaucoup trop lourd… Ensuite je portais en bandoulière un sac de 5 kg, type besace en toile.
Même si l’idée générale était d’être léger comme le vent, c’était plus un état d’esprit car je portais pas mal de poids.
Pour les équipements, il faut se souvenir qu’en 2002, il n’y avait pas autant de matos outdoor qu’aujourd’hui. On n’achetait pas en ligne, donc je m’étais équipé dans les commerces parisiens près de chez moi.
Voici l’inventaire de ce que j’avais :
Quelques vêtements de rechange, un bonnet, un hamac en coton, un duvet, une lampe frontale, un réchaud à gaz et sa gamelle, un briquet, une paire de jumelles, un peu de corde, un journal de route, une trousse avec des crayons de couleur, un téléphone portable, une couverture de survie, un poncho étanche, des sandales, un petit nécessaire de toilette et une mallette à pharmacie rudimentaire.
Dans la besace en toile : un Opinel, une réserve de fruits secs, le livre de Stevenson, le topoguide du gr70, une flûte irlandaise, un peu de tabac à rouler, un briquet, un couteau type Leatherman, une boussole et un appareil photo jetable.
Avec le recul, je m’étais chargé comme une mule avec des objets que j’ai trimballé sur 250km et que j’ai regretté.
Comme le réchaud à gaz, pas indispensable sur ce genre de parcours. Mon hamac était lourd lui aussi, c’était un modèle de jardin… Aujourd’hui on trouve des choses ultra légères et si je devais le refaire, je n’emporterais peut-être que 10kg en tout.
Le poids, sur la distance, ça change beaucoup de choses quand on marche.
Mais ça me plaisait de partir avec un attirail d’explorateur du 19e siècle. Je voulais faire des croquis, observer la nature, d’où l’inventaire qui fait un peu boy scout.
Toute aventure a son lot d’anecdotes. Peux-tu partager en quelques une de marquantes ?
Je pense entre autre à la marche de nuit sous la pluie ou les 42km parcourus à cause d’un lieu de bivouac mal choisi…
Alors oui, il y a eu plusieurs moments un peu inattendus. En particulier ce jour où je franchissais le Mont Lozère.
J’avais le choix de dormir soit sur son versant nord, soit de passer le sommet et de dormir sur le versant sud. Comme j’étais en forme, je décidais de dormir sur le versant sud, ce qui rallongeait la distance jusqu’à 37km sur cette journée. J’étais rincé.
J’avais trouvé un coin bucolique sur la pente, sous des noyers, face à un champ. C’était un endroit de rêve en apparence, mais très mal abrité. Il ne faut pas se fier au panorama, j’étais encore à 1400m il me semble… Quand la nuit est tombée et que je cherchais le sommeil dans mon hamac, un vent terrible et froid s’est levé. Impossible de dormir à cause du froid trop intense, et je me balançais comme un pendule dans les bourrasques. Alors j’ai été contraint de tout remballer et de reprendre le chemin de nuit, à la frontale, pour trouver un abri 5km plus bas.
Ce genre de moment, on le subit sur l’instant, mais c’est ce qui rend une aventure intéressante. C’est aussi une leçon de vie : quand on n’est pas bien à un endroit, il faut savoir bouger.
Dormir dans un hamac ajoute une dimension unique à ton aventure.
Comment as-tu géré les aspects pratiques du bivouac, notamment le choix des emplacements et les contraintes liées à cette type de couchage ?
Le hamac c’est très pratique et surtout c’est confortable pour un système minimaliste.
Je n’avais donc pas de matelas. En revanche, attention spoiler, il faut deux arbres pour l’attacher !
Et ça c’est pas toujours évident à avoir. Je me suis donc retrouvé quelques fois à dormir à même le sol, faute d’avoir pu trouver deux points d’ancrage pour le hamac.
Je précise aussi que je n’avais pas de tarp. En cas de pluie, je reprenais la route, même dans le noir. C’est ce qu’il ‘est arrivé la première nuit.
Donc le hamac est assez efficace. La mise en place est très rapide. Je sais que certains n’aiment pas dormir dedans car on ne peut pas se mettre sur le ventre. Moi ça me convient, en plus on est à l’abri des insectes rampants.
Et puis il y a quelque chose de poétique, c’est comme une voile qu’on déploie et qui nous porte jusqu’à l’aube.
Quels conseils donnerais-tu aujourd’hui à celles et ceux qui aspirent à suivre des chemins similaires ? Aventure, minimalisme et immersion dans la nature…
Je vais donner une réponse surprenante : je ne donnerai aucun conseil.
J’invite chacun à réfléchir à l’idée que l’aventure est une expérience intime que l’on doit révéler par soi-même. Après tout, est-ce que les aventuriers ont besoin de conseils ? Non, et ils n’en attendent pas.
Il n’y a pas de bonne ou mauvaise manière, il n’y a pas de matériel plus ou moins adapté.
On peut le faire en solo, à plusieurs, en hamac, en tarp, en tente. On peut même se fixer des conditions comme l’autonomie alimentaire, ou le faire sans argent, ou encore pieds nus… C’est infini.
Chacun doit se créer les conditions de son aventure, je pense que c’est ça le secret.
Il ne faut pas forcément reproduire ce que les autres ont fait avant nous, mais ouvrir une nouvelle voie, sa propre voie. Sans quoi, on reste dans les sentiers battus, dans la file indienne que l’on voulait quitter en partant.
Par exemple, sur ce chemin, Stevenson l’avait fait avec un âne. Je n’ai pas voulu faire pareil pour ne pas avoir l’impression de faire un remake de son périple.
Je crois que l’aventure c’est ça. C’est prendre le contrôle total de sa vie, vivre la simplicité des choses, la douleur, la soif, l’exaltation, juste pour quelques jours.
C’est fixer un cap, et naviguer vers l’inconnu en capitaine de son existence, même pour quelques instants.
Et si ensuite on redevient une personne plus sédentaire, avec une vie ordinaire, peu importe, on aura connu la richesse de ces sensations.
Donc finalement, mon conseil c’est de ne suivre aucun conseil, d’écouter ses envies et de se lancer dans l’inconnu tête première.
J’aime beaucoup cette philosophie !
Ton livre, « Une aventure à la belle étoile », a connu un chouette succès. Peux-tu nous raconter comment l’idée de transformer ton expérience en livre a pris forme et quel message tu souhaites transmettre aux lecteurs ?
Pendant cette aventure, je rédigeais un journal de route tous les soirs.
Ce journal, il prenait la poussière dans un tiroir depuis 2002 et un beau jour, j’ai eu simplement eu envie d’en faire un livre plus construit. Alors je me suis mis à écrire sérieusement, ce qui est une autre manière de sortir de sa zone de confort.
Le livre s’appelle « Une aventure à la belle étoile – 10 jours de bivouac sur le chemin Stevenson« .
J’y détaille toute l’aventure, le parcours, les péripéties, les sensations, parfois de manière contemplative.
Mais surtout, je lance des réflexions : pourquoi nous marchons ? Pourquoi dormir à la belle étoile ? Pourquoi nous sommes poussés par cet appel de la nature ?
Il y a un vrai engouement pour le retour au sauvage, l’autonomie, le survivalisme, etc. Je pense que c’est le reflet de notre époque qui est troublée par de multiples bouleversements.
Les gens reviennent instinctivement vers des choses qu’ils contrôlent, qu’ils comprennent, qui font sens, qui les enracinent.
Mon livre s’inscrit dans cet élan : vers plus de simplicité, vers une forme d’indépendance physique et morale. Ne pas dépendre de choses dont on est tributaire… C’est cela que l’on ressent quand on part en bivouac ou quand on marche. On est seul maître à bord, on a de l’eau, à manger, on a besoin de peu. Ce sentiment est à la fois jubilatoire et rassurant.
J’espère que ce petit bout de témoignage donnera envie à d’autres de découvrir le chemin Stevenson, ou de se lancer dans une toute autre aventure personnelle.
Je terminerai en remerciant à nouveau Sven et l’équipe de NoPanic pour la richesse de leur travail si précieux.